Un bâtiment décrépit dans la rue Jeanne Jugan. On y entre par une porte grande ouverte à l'arrière : elle débouche sur un vestibule où dorment, bien rangés en rectangles sages sur le lino craquelé, les broches conçues par Cassandre à partir de fausses fleurs de cimetière et les vêtements en piles plus ou moins verticales qu'elle achète en vide-maison pour les broder ou les peindre à sa sauce. A l'étage, de longues salles vides se succèdent gorgées d'un beau soleil de novembre. Un buste de Christ noir sur un radiateur en fonte, un portant de fringues de récup', des murs éczémateux, ça sent le vécu qui gratte. Et le vécu, Cassandre s'en nourrit pour organiser ses défilés de mode.
Partie d'un BTS design, textile et environnement passé dans une école privée à Bordeaux (« J'y suis allée par amour ! ») et obtenu sur le fil du rasoir : « Mon projet – bien avant le mariage pour tous – était de faire des robes de mariées pour hommes. La nuit, après les soirées, je revenais, je prenais des sacs poubelle dans la rue et je les tricotais pour faire mes robes. J'ai fait des défilés avec des transsexuels non- assumés, rencontrés via ma colloc' qui était aux Beaux-Arts ».
Elle ajoute, pour expliquer la difficulté : « Tu sais, les BTS c'est un peu... » elle fait le geste de deux rails qui filent de chaque côté de sa tête. « Classique ? » « Oui, c'est ça, classique ».

Elle n'a pas une once de méchanceté, la Cassandre. Amour Collective, ce nom vaut ce qu'il dit. Baignée toute petite dans le monde du Secours Populaire, elle estime que « Tout le monde peut s'habiller en Secours Pop' », y compris « les bourgeois », qu'elle aime amener à ce monde beau et boiteux, si peu sûr de soi, si complexé et, finalement, si humain. Après un passage par Paris, l'univers du cinéma, celui de la télé et des journalistes de mode hanté par « des stéréotypes pires que ceux qu'on te montre ! », Berlin et sa folle vie de nuit,elle décide de rentrer soigner son spleen à Granville, où elle a grandi. Elle revient dans le giron du Secours Populaire qui, la connaissant de longue date, lui demande d'organiser un défilé en leur nom. Elle choisit pour mannequinsdesgenscroisésdansla rue « Il faut que je les trouve beaux. Pas de la beauté... (elle mime une sorte de blougui-boulga devant son visage) mais des trucs forts ». La ville de Granville a eu vent de l'évènement : ils lui demandent de monter en un mois un défilé qui impliquera les résidents d'une maison de retraite ainsi que des élèves en difficulté du lycée Marland. Pari tenu malgré un délai extrêmement court...