Dans un coin de la pièce, sous la télévision qui surplombe une gazinière éreintée, une bouteille de soda et la bombina de mate cernent une assiette garnie d'empañadas fritas...
Une femme âgée est accroupie nue. Sa posture et le jeu d'ombres laissent deviner le travail du temps sur sa peau... Au milieu des montagnes, dans le lit d'une rivière, le visage d'un garçon crève la surface de l'eau : ses deux yeux transpercent l'objectif.
Trois clichés à travers lesquels Jasmine Bannister, alias "Jas", soulève la même question : Combien de champs se cachent dans une image ? Combien d'histoires et de niveaux de lecture ? Une bonne photo offre au spectateur la possibilité de franchir les portes de la fiction, de sortir du cadre. Elle est vivante. L'image laisse place à l'imaginaire. Et c'est cette philosophie que la photographe granvillaise entend appliquer, mitraillant de l'Océanie à l'Amérique du Sud, du festival des Traversées Sonores aux défilés de mode. A l'autre bout du globe, Jasmine s'est lancée dans la réalisation d'un photo documentaire pour raconter les peuples primaires d'Australie et de Patagonie. De cette aventure mêlant le travail artistique à une forme d'action humanitaire, la jeune femme a ramené une collection de clichés mettant en évidence le malaise de ces populations coincées entre deux époques, tiraillées entre deux cultures.
En déroulant la pellicule, elle décrit son ressenti en tant que photographe, femme blanche européenne, dans un monde portant encore aujourd'hui l'empreinte de la colonisation : « Les indigènes nous ont expliqué qu'en montrant leur quotidien, ils entendaient obtenir une reconnaissance identitaire face au gouvernement ; mais on nous a aussi fait comprendre que ce ne serait pas à nous des Européens de raconter leur histoire ».
Aujourd'hui, le travail de Jasmine se métamorphose, mutant du portrait aux photos de mode, de la mise en scène aux clichés spontanés. Un large panorama balayé version grand angle qui tend néanmoins vers un unique objectif : « Façonner une narration visuelle avec des images ». Tantôt intime, glauque ou malsaine... Cette fresque offre parfois la curieuse impression de suivre la trame de la comédie humaine. Comme lorsque Jasmine dégaine l'appareil dans le cadre du projet Amour Collective lancé par Cassandre Lemeilleur ; créatrice granvillaise dont les collections reposent sur un délirant concept puisqu'il s'agit de revêtir les rideaux de la grandmère. Récemment, Jasmine s'est ainsi retrouvée à travailler sur un défilé de mode en plein milieu d'une rave party. Vers quatre heures du matin, l’ésotérique expérience se clôturait avec le passage d'un couple de mariés homosexuels qui s'embrassaient. Jas a photographié l'un des deux mannequins pendant qu'il se préparait. Baigné par la douteuse lumière des néons, ce lieu sale, pas vraiment apprêté pour un gentil shooting de mode, Jasmine l'a sculpté pour en faire quelque chose de beau.

