« Un clou chasse l'autre », sur la terrasse du s'pote AntiRouille* des visiteurs s'en vont, un être s'éveille: Stéphane Douay le dessinateur, créateur de l'affiche pour la fête AR, du Commandant Achab, de Matière Fantôme, de Don Quichotte dans la Manche, d'Ex Nihilo, rien que ça, arrive : «C'est vrai que je suis un peu marteau !». Plus tard sur la terrasse on entend que le plus vieil arbre au monde aurait 43 000 ans, il est ... « en chaise roulante » intervient Stéphane.

De la jonglerie à la bande dessinée, de Grand­Camp à Granville en passant par l'Orbec­kistan, Stéphane n'est jamais vraiment seul dans sa tête. Arrivé depuis un an et demi dans le quartier, originaire du Havre, c'est un peu notre Ruquier à nous, virtuel. Si tu veux comprendre l'intrigue tu sauf que lui c'est pas un enculé, et qu'en plus... il est drôle.
On parle un p'tit peu de drogue pour changer, « J'ai pris du thé une fois j'étais un p'tit peu wouuuuuh ». Bon, une Minium** et ça repart, on cause encore un peu de drogue et de sortie de corps. « Une galette à la pince de crabe, c'est facile : tu prends la pince tu la mets dans la galette, ça croustille c'est bon ! ».Onrigolebienmaisundoutepersiste:va­ t­on réussir à vous raconter quelque chose d'intéressant et désengager le mode « Private joke »? « Elle a du goût, du caractère ! » ouais tu parles ! une belle bande d'alcoolos ! mais merde on va y arriver à faire cet article !

Je tente un « Ça fait longtemps que tu dessines ? », pas tellement convaincu. « En fait, me dit­il, ça part de l'envie de raconter des histoires. La BD, j'ai commencé vers 8 ans, puis avec le temps, comme dit Léo, ça s'organise. Avec des cases c'est plutôt vers 10­12 ans, j'étais inspiré par Strange, Iron Man, les super­héros, et après Tintin, Lucky Luke, Gotlieb ça m'a donné envie, j'aimais beaucoup la patte de Milton Caniff. C'était aussi peut­être une façon d'échapper à une enfance difficile à supporter, une échappatoire, une manière de me construire une bulle avec des personnages, ça m'a vachement aidé.» Si tu regardes une plance: "Tu vois qu'un personnage est partout tout le temps, par contre quand tu commences à lire, tu enclenches une chronologie, quand tu lis une bande dessinéetu es dans la sixième dimension entre réel et virtuel. Si tu veux comprendre l'intrigue tu dois recomposer ce qui n'existe pas, tu crées un temps, un mouvement, de la mémoire. L'art de la BD, c'est de savoir recomposer, c'est pas le dessin le plus important, c'est comment tu fais passer l'émotion ou ce que dit le scénariste entre les cases. Y'a toujours une image entre deux images.

Un jour je me suis dit la BD c'est le seul des arts qui ait des initiales (dans le sens, qui est au commencement ), donc j'ai suivi le fil et je suis remonté à l'origine de la lettre B dans l'alphabet «protosinaïtique» dérivé des hiéroglyphes égyptiens. Le son B est représenté par une maison, et D représente une Porte, l'origine des initiales BD représenterait une maison avec une porte...».
Dis donk, t'aurais pas un peu trop abusé du Maigret au Colombo ?
«C'est un raisonnement logique où tu tires une cordes, et tu analyses avec un certain angle d'attaque, sinon tu te barres dans tous les sens». En fait la BD se joue dans l'Entre­case, la porte vers un espace où tu entres et sors sans arrêt. On prend conscience de l'importance de l'invisible, de la force de l’ellipse (...).

Dans le salon trône Don Quichotte. Fil de fier et papier: une sculpture réalisée par une amie avec des photocopies des planches de l'album. « C'est là que je travaille ». Sur la planche à dessein, le dernier projet en cours, c'est la première fois que je vois les planches d'un dessinateur, y'a comme une présence incroyable ! Il vient de finir un polar noir... et blanc qui part en impression, enchaîne avec un projet sur Appollo XI, et une histoire pour les enfants. Stéphane évoque la difficulté de passer de l'univers d'un polar noir à celui des histoires pour enfants et le temps qu'il faut pour s'immerger dans un monde puis dans l' autre. Il revient sur l'importance du rêve, le rêve source d'inspiration ou le rêve­guide, qui pose les jalons de la voie à suivre, le rêve quasi prémonitoire.

C'est pas tous les jours qu'on cause de tout ça et j'ai l'impression d'avoir plus appris en cinq minutes de discussion sur la BD et la bière qu'en trois heures d'enseignement avec un pseudo­maître Yogi, moitié zen moitié hystérique qu'a les yeux qui brillent uniquement quand tu lui tends le règlement, à la fin du stage. Par contre je ne sais plus trop qui je suis, où j'habite, où est la porte, où est la maison, merci Stéphane d'avoir éclairci les lignes !!!

Rendez vous à l'Expo visible au S'pote Antirouille de Granville ouvert les samedis matins de 10h à 13h.

*Le s'pote Antirouille c'est au bout du cours Jonville à Granville-­les­-Bains.
**Minium : la bière Antirouille brassée par nos soins.