Essaims Utopiques
Exposition de photographie et de broderies au Manoir de Saussey.
Malgosia Fromenty et Natalie Mei.
Un murmure, une mélodie, le cri d'un tonnerre lointain. Au signal donné, l'abeille enchantée dérive avec un millier de ses compagnes invitées à un vol nuptial.
L'essaim, formé dans une lumière transparente, prend les quatrevingtsix couleurs de jaune, les vingtquatre notes atonales et autres bruissements invisibles. Il danse sur des cercles, sur des huit enlacés, guidé par l'antique roi ou la reine sur le déclin, pour aller se nicher au creux du tronc fendu du vieil arbre.
Là, mobile, l'abeille noire ensauvagée crache, transpire, suinte, sécrète des filaments ténus, crée, seule, la paroi circulaire de sa cellule. Sous l'effet d'une pression extérieure, de la périphérie au centre, le mur lisse de son puits protecteur se fend en six segments continus égaux, six angles s'harmonisent, forment une alvéole hexagonale parfaite.
De ce nouvel espace restreint, l'abeille photographe s'envole libre. Unique et multiple, donnetelle l'illusion de fuir un monde ordonné, quand elle s'ébroue, se gave, hume, récolte, disperse, pour revenir les soies couvertes de grains de pollen affolés, l'abdomen luisant de propolis, la pompe ivre de nectars volés aux calices d'innombrables fleurs à fruits ou autres créations odorantes ?
Précise, quant à elle, l'abeille brodeuse improvise sur des règles anciennes, dans son va etvient au service du visible, dans des échappées belles et de belles échappées, nous entraîne à bifurquer notre regard, du dedans des espaces hexagonaux minuscules d'une société ambiguë, mouvante, résistante, au dehors, aux confins du réel et de l'irréel.
Quand, en effroi, toutes deux nous signalent, si nous y prenons garde, le passage de la malemort, empruntons les voies ouvertes vers quelque refuge de pensée active, vers quelque nouvelle Arche de Noé.